// 2016 / Galerie Depardieu / Nice
//Rêverie lovée dans la courbure de l'espace-temps ? //
Quand je les regarde, j’y vois un alphabet cosmique, sublunaire parfois, interstellaire souvent et le bout de mes doigts effleure alors cette matière noire lointaine, inaccessible, énigmatique, une substance invisible qui, déviant la lumière des étoiles, révèle en creux la matière visible (1).
Bernard D. vitrifie les volumes, dévitrifie les surfaces avec une obstination solaire en maitre du feu et de la flamme. Il façonne la transparence du verre comme la matière noire invisible façonne le rayonnement des étoiles. Il révèle sa limpidité en le nappant de voiles cristallines réfléchissant la lumière. Bernard interroge les frontières, la limite, joue entre le vide et le plein, le visible et l’invisible et dicte aux photons leur trajectoire. Entre ses mains la lumière, notre seul lien au cosmos, devient matière et la matière redevient lumière. Les formes brèves me rappellent alors que dans l’espace le vide n’est jamais vide.
Dans l’obscurité je regarde cette voile cristalline, frémissante, captive dans son triangle de verre (2), et je voie Ikaros, la voile solaire japonaise, vaisseau spatial silencieux parti un jour en direction de Venus, mue par le rayonnement stellaire, gonflée par des pinceaux de lumière. Et au fond de ma nuit, surgit alors tout près de moi, à portée de sens, des fragments d’univers non encore conquis.
Ces sculptures de verre dans leur contour défient le temps. Elles nous rappellent autre chose, la naissance de l’art car Bernard puise son vocabulaire dans un univers de formes bien terrestres, des formes qui le poursuivent depuis toujours, les premières formes, celle de la hache et son ergot (3), de la pointe de flèche (4), de la meule dormante (5) sculptées par l’homme, celui qui était la avant l’histoire…Avec ses formes brèves, Bernard sculpte le temps, son absence comme son éternité et l’espace d’un instant je me sens proche de celui qui, disparut il y a plus 20 000 ans façonnant son outil, oublia son outil.
Dans l’obscurité, je regarde ces formes brèves, et je voie l’invisible, je voie dans le noir. Nous avons besoin du noir pour voir. Ce qu’elles cachent nous redonnent la vue. Bernard parle à la terre comme il interroge le ciel. Il nous entraine dans son sillage et nous rappelle que l’on partage tous le même ciel depuis que le monde est monde, que l’on partage tous en héritage la naissance de la forme, la naissance du beau.
Dans l’obscurité je regarde ces lèvres de cristal (6) j’ébauche alors un sourire et je me dis que l’oeil est un peu le sens de la nuit et la nuit nous ne sommes jamais tout à fait les mêmes. Quand je la regarde je ne suis plus tout à fait la même…

Violaine Sautter
[Ners, Janvier 2022]
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