FRANÇOIS GOALEC // 2007 // Hors-pistes //
C'est à la fois un parcours singulier et une marque de confiance de Bernard Deionghe de me permettre de photographier et de mettre en images la gestation et les mutations de son oeuvre.
1. L'ESPRIT DU LIEU
Pour saisir tout ce qui mène vers sa lumière, il faut que je me laisse porter par l'esprit de l’atelier. Je mets en veille les habitudes et les travers de mon regard. Je me méfie de mes emportements, d’un jugement radical et rapide, de l'exaltation d'une ivresse. Lentement, je me nourris des bribes intimes du lieu, de sa part d’irrationnel, de ses sons, du peuplement de ses silences. J'aime regarder l'artiste regarder dans le doute l'insoluble présence de ses pièces. J'aime l'altière résistance dans laquelle elles installent du trouble, ce néant qui ne trouve pas les mots ou qui ne laisse pas aux mots le droit de divaguer sur les choses. Un trouble de jouissance.
]’aime ces moments incertains, cette mer étale en attente de mouvement. J’aime m'imprégner des lumières dans lesquelles ces oeuvres naissent, se donnent au récit à venir. Récits fragiles, je navigue entre elles par tout temps, marche sur les débris de leurs mises à bas. Je suis dans les dangers d’un état de séduction, ce beau danger, cet abîme des sentiments. Une éponge océanique.
J’erre entre les fours, les palans, les outils, les non-dits. Comme lui, je suis parti voir le désert, l’ailleurs pour prendre l'aube du présent. J’ai regardé les astres. J'ai photographié les vies d’avant, les villes englouties, les déluges, les désastres de la guerre, les mirages, la mémoire des pierres, le bruit du vent, la marche immobile des nomades et la course du sable dans l’eau des sècheresses aveugles.
je suis revenu. Le lieu m’est devenu plus familier. Dans les bons jours, la réalité s’amuse il prendre des allures de fiction. L'atelier devient un espace romanesque, cinématographique, idyllique.Tout semble devenir possible sur les rails de ce travelling somnambule. Mon corps prend ses marques dans cette fabrique d'émotions et ses extensions. S’échappe de la buanderie contiguë le chuintement de la machine 51 laver. J'aime sa plainte élégiaque, l'essoufflement de son moteur, l'écoulement de ses eaux. lci, dans le creux des silences, John Cage - il aurait pu être là, il est là - sature sa partition du rien moderato. J'aime l'intrusion de Ginette dans l’atelier, muse et épouse. J'aime sa parole, le propos de ses questions.
J'aime sa relation avec les tissus, avec leurs histoires et la vision sensible et sensuelle de son art. J'aime sa distance. J’aime son regard porte sur la détresse et les mensonges du monde. Du poste de radio pose sur une planche blanchie par les terres séchées, les émissions de France Culture se succèdent et envahissent l'atelier de débats inaudibles. La sonnerie du téléphone arbitre ce temps de ses ordres impératifs. Elle provoque un allô et elle est suivie d’une conversation dans les halos des songes des créations. Dans mes attentes j’aime fusionner les voix et ces voix radiophoniques et ces bruits en les malaxant en quelque chose de cristallin à l'image du verre, transparent et amorphe. Dans ce champ des retraites je balise ma route à l’à peu près. A défaut de certitude j'élabore d’inutiles stratégies. La peur, cette vilaine peur de tout rater m’envahit.
J'attends le bon moment où les pièces posées sur le béton de l’établi veulent bien prendre corps dans la lumière naissante du jour.
Le chat prenait sa place au soleil. Il fallait que je trouve la mienne.
2 - L'INSTANT, CE BEAU PIÈGE
Photographier l'oeuvre de Bernard Dejonghe c’est pouvoir placer les mouvements de mon corps dans l'espace de l’atelier avant de placer les mouvements de mes yeux. C'est la capacité d'élaborer une chorégraphie aléatoire sur ce laboratoire d’écueils. Ma préoccupation est de traduire le langage de ces formes brèves et de ces ensembles variés et modulables au-delà de leur réalité physique. Ce ne sont pas des objets d’art que je veux photographier mais l'émission de signes issue d’une création. Seul ce qu’elles libèrent d'indicible, d’émotions devenait à mes yeux le sujet, mon sujet. La lumière naturelle s’est imposée comme principale source d’éclairage. J'ai choisi d’être minimaliste dans le choix du matériel. Durant ces quinze années, un seul appareil, un solide pied tchécoslovaque en bois, le choix d’une marque de pellicule m'ont suffi pour explorer cet univers dans la brièveté de l'instant.
3 - VOIR VENIR L'IMAGE
Dans cette approche photographique, je m’interdisais de réduire les oeuvres de Bernard Dejonghe au statut d'objet. Nenni.
Nous sommes convenus de mettre en évidence leur énergie, le rapport humain et l’échelle des pièces dans l’ensemble des séries. Nous ne voulions pas que les photographies soient lues comme des clichés de catalogue décontextualisés de leur réalité.
Nous n'étions pas au BHV ni dans les logiques de classification des musées. Une de mes difficultés est de transformer le réel pour construire par l'image un univers parallèle qui parle au plus juste du vocabulaire de Bernard Dejonghe. L’image a sa propre logique. Elle se fait le simulacre du réel, elle fascine par sa capacité de reproduction et de ressemblance et pourtant elle ne parle que d’une chose, pour tout dire d'elle-même.
L'image est "quelque chose qui ressemble à quelque chose d'autre", écrit Martine Joly. En soi, l'image n’est ni vraie ni fausse.
Tout dépend de sa mise en situation et de l`interprétation que nous faisons de ses signes, de ses codes, de leurs usages.
A photographier les oeuvres de Bernard Dejonghe, j'ai le sentiment d’être un passeur, de prolonger ses signes d’existence, les bribes d’une histoire, de capter l’esprit d'une création et de les donner en partage, à ma manière, sur le papier.
François Goalec
1. L'ESPRIT DU LIEU
Pour saisir tout ce qui mène vers sa lumière, il faut que je me laisse porter par l'esprit de l’atelier. Je mets en veille les habitudes et les travers de mon regard. Je me méfie de mes emportements, d’un jugement radical et rapide, de l'exaltation d'une ivresse. Lentement, je me nourris des bribes intimes du lieu, de sa part d’irrationnel, de ses sons, du peuplement de ses silences. J'aime regarder l'artiste regarder dans le doute l'insoluble présence de ses pièces. J'aime l'altière résistance dans laquelle elles installent du trouble, ce néant qui ne trouve pas les mots ou qui ne laisse pas aux mots le droit de divaguer sur les choses. Un trouble de jouissance.
]’aime ces moments incertains, cette mer étale en attente de mouvement. J’aime m'imprégner des lumières dans lesquelles ces oeuvres naissent, se donnent au récit à venir. Récits fragiles, je navigue entre elles par tout temps, marche sur les débris de leurs mises à bas. Je suis dans les dangers d’un état de séduction, ce beau danger, cet abîme des sentiments. Une éponge océanique.
J’erre entre les fours, les palans, les outils, les non-dits. Comme lui, je suis parti voir le désert, l’ailleurs pour prendre l'aube du présent. J’ai regardé les astres. J'ai photographié les vies d’avant, les villes englouties, les déluges, les désastres de la guerre, les mirages, la mémoire des pierres, le bruit du vent, la marche immobile des nomades et la course du sable dans l’eau des sècheresses aveugles.
je suis revenu. Le lieu m’est devenu plus familier. Dans les bons jours, la réalité s’amuse il prendre des allures de fiction. L'atelier devient un espace romanesque, cinématographique, idyllique.Tout semble devenir possible sur les rails de ce travelling somnambule. Mon corps prend ses marques dans cette fabrique d'émotions et ses extensions. S’échappe de la buanderie contiguë le chuintement de la machine 51 laver. J'aime sa plainte élégiaque, l'essoufflement de son moteur, l'écoulement de ses eaux. lci, dans le creux des silences, John Cage - il aurait pu être là, il est là - sature sa partition du rien moderato. J'aime l'intrusion de Ginette dans l’atelier, muse et épouse. J'aime sa parole, le propos de ses questions.
J'aime sa relation avec les tissus, avec leurs histoires et la vision sensible et sensuelle de son art. J'aime sa distance. J’aime son regard porte sur la détresse et les mensonges du monde. Du poste de radio pose sur une planche blanchie par les terres séchées, les émissions de France Culture se succèdent et envahissent l'atelier de débats inaudibles. La sonnerie du téléphone arbitre ce temps de ses ordres impératifs. Elle provoque un allô et elle est suivie d’une conversation dans les halos des songes des créations. Dans mes attentes j’aime fusionner les voix et ces voix radiophoniques et ces bruits en les malaxant en quelque chose de cristallin à l'image du verre, transparent et amorphe. Dans ce champ des retraites je balise ma route à l’à peu près. A défaut de certitude j'élabore d’inutiles stratégies. La peur, cette vilaine peur de tout rater m’envahit.
J'attends le bon moment où les pièces posées sur le béton de l’établi veulent bien prendre corps dans la lumière naissante du jour.
Le chat prenait sa place au soleil. Il fallait que je trouve la mienne.
2 - L'INSTANT, CE BEAU PIÈGE
Photographier l'oeuvre de Bernard Dejonghe c’est pouvoir placer les mouvements de mon corps dans l'espace de l’atelier avant de placer les mouvements de mes yeux. C'est la capacité d'élaborer une chorégraphie aléatoire sur ce laboratoire d’écueils. Ma préoccupation est de traduire le langage de ces formes brèves et de ces ensembles variés et modulables au-delà de leur réalité physique. Ce ne sont pas des objets d’art que je veux photographier mais l'émission de signes issue d’une création. Seul ce qu’elles libèrent d'indicible, d’émotions devenait à mes yeux le sujet, mon sujet. La lumière naturelle s’est imposée comme principale source d’éclairage. J'ai choisi d’être minimaliste dans le choix du matériel. Durant ces quinze années, un seul appareil, un solide pied tchécoslovaque en bois, le choix d’une marque de pellicule m'ont suffi pour explorer cet univers dans la brièveté de l'instant.
3 - VOIR VENIR L'IMAGE
Dans cette approche photographique, je m’interdisais de réduire les oeuvres de Bernard Dejonghe au statut d'objet. Nenni.
Nous sommes convenus de mettre en évidence leur énergie, le rapport humain et l’échelle des pièces dans l’ensemble des séries. Nous ne voulions pas que les photographies soient lues comme des clichés de catalogue décontextualisés de leur réalité.
Nous n'étions pas au BHV ni dans les logiques de classification des musées. Une de mes difficultés est de transformer le réel pour construire par l'image un univers parallèle qui parle au plus juste du vocabulaire de Bernard Dejonghe. L’image a sa propre logique. Elle se fait le simulacre du réel, elle fascine par sa capacité de reproduction et de ressemblance et pourtant elle ne parle que d’une chose, pour tout dire d'elle-même.
L'image est "quelque chose qui ressemble à quelque chose d'autre", écrit Martine Joly. En soi, l'image n’est ni vraie ni fausse.
Tout dépend de sa mise en situation et de l`interprétation que nous faisons de ses signes, de ses codes, de leurs usages.
A photographier les oeuvres de Bernard Dejonghe, j'ai le sentiment d’être un passeur, de prolonger ses signes d’existence, les bribes d’une histoire, de capter l’esprit d'une création et de les donner en partage, à ma manière, sur le papier.
François Goalec
// Diaporama réalisés par François Goalec //