JEAN-LUC OLIVIER // 1995 //
Les formes de Dejonghe sont simples, modulaires et répétitives et constituent souvent un ensemble d’échantillons destinés à mesurer les variations, à enregistrer les différences, les mutations. Son parcours des couleurs apparaît comme une succession de périodes monochromes : bruns des grès bruts, « rouges de cuivres », bleus des stèles ou des lignes et enfin ces gammes de blancs qui aujourd’hui font écho à la clarté du verre. Mais au sein de ces ascèses monochromes, la densité du feu, les conditions de cuisson et d’enfournement provoquent toutes ces subtiles variations de couleur, de tonalité et de luminosité qui pénètrent la matière. La matière, c’est pour lui toujours un minéral manipulé et soumis au feu. D’abord la terre et cette culture millénaire : la céramique ; et depuis quelques années, le choix d’un autre matériau privilégié : un verre massif d’une lumineuse profondeur.

L’énergie, c’est bien sûr ici la chaleur, celle du feu et de la flamme, mais c’est aussi la lumière qui développe( au sens photographique du terme) toutes les transformations de la matière, soumise à ces pressions énergétiques. Le résultat, c’est par exemple cette association unique du support et de la couleur que sont les surfaces émaillées et ces accidents ou la lumière s’agrippe dans les masses transparentes. Il y a dans son rapport avec la « cuisson » la rigueur d’un savoir faire né de l’observation mais ou s’intègre, comme une donnée non combattue, la surprise. Le feu n’est pas pour lui une loi à respecter ou une donnée à maîtriser, mais un compagnon fantasque avec lequel deviser.

L’énergie est aussi mécanique, directement liée aux conséquences de la pesanteur, qu’il s’agisse des mises en place qui alignent ou courbent des horizontales, suspendent dans l’espace, élèvent des verticales ou de toute la « gestuelle » qui dans l’atelier du sculpteur, déplace les poids, alourdit les masses dans la gangue des moules, allège le bois en braises, en cendre, en fumée.

Cet enjeu profond avec les énergies , feu qui transforme, forces qui donnent forme, déplacent les masses, intervenant jusqu’à l’échelle des paysages , crée ici un point de rencontre entre la tradition des « Arts du Feu » et des problématiques que la sculpture a mise en avant au cours du XXe siècle.

Jean Luc Olivier – Conservateur au Musée des Arts Décoratifs – Paris
Extrait du catalogue de l’exposition « Dejonghe » - 1995

Back to Top