ÉCOUTER LE MONDE // 2011 / Musée archéologique de Bibracte
Objet Label pour les grands Sites de France
Cet objet devait être en verre, dont la pureté puisse montrer la qualité des sites, leur fragilité, mais aussi la transparence qui doit s'attacher à leur gestion. Cet objet est en verre parce qu'il s'agit d'un matériau contemporain par excellence, dans ses technologies et dans les usages qu'on en fait.
Ainsi, c'est une manière de marquer le fait que la gestion des Grands Sites n'est pas simplement une protection de notre passé, mais une action importante pour notre présent et notre futur. J'ai employé le plus pur des verres, un verre d'optique qui concentre et renvoie sans les dévier les rayons de la lumière. Il est massif et paraît vide ; il est brut par les surfaces et raffiné par les faces polies. La forme est un ovale, forme d'harmonie et d'équilibre, c'est la forme du soleil qui se lève ou qui se couche sur l'horizon. Une fente est inscrite sur le haut de l'ovale ; elle symbolise la présence des humains.
Les humains sont partie de la nature. Ils en sont une partie, mais ils ne dominent pas, chose qu'ils ont trop tendance à penser, ce qui les conduit à abîmer sans retenue notre planète.
Le nom qui lui a été donné : Ecouter le monde a été emprunté à Kenneth White, poète et essayiste qui a participé par ses écrits à la réflexion sur les Grands Sites.
Le mot "Ecouter" est important ; il pose question ; il signifie "attention et respect". 

Bernard Dejonghe
BERNARD DEJONGHE
Écouter le plaisir millénaire
En 2008, l’État labellisait Bibracte Grand Site deFrance. À cette occasion fut installée au musée une sculpture en verre de Bernard Dejonghe créée trois ans plus tôt. Intitulée Écouter le monde (expression empruntée à Kenneth White), c’est une forme ovale massive en verre d’optique, « la forme du soleil qui se lève et se couche sur l’horizon » dit-il. Elle est aussi celle d’un disque taillé en rhyolite jaune vert du néolithique saharien dont son pourtour arrondi a le même côté brut, ses faces étant polies. Elle est pourvue sur le dessus d’une longue encoche énigmatique qui rappelle les gorges de polissoirs en pierre du Sahel et nous introduit également aux ruptures de forme, gorges et décrochements qui caractérisent nombre de ses pièces. Cette pièce, petite (26 x 22 x 19 cm), est un concentré de son œuvre et le point de départ d’une exposition doublement remarquable qui occupe pour plusieurs mois l’ensemble du musée. Déjà présentés ensemble, céramiques et verres de l’artiste ne l’avaient sans doute jamais été avec cette ampleur et surtout dans un contexte muséal qui en souligne magnifiquement le sens, les rapprochant des formes géologiques (leur dimension géopoétique, selon l’expression de l’écrivain écossais qui signe le texte d’introduction à l’exposition), et archéologiques. Nous connaissions surtout celles des minéraux liés à l’histoire de la terre et des productions de la préhistoire saharienne, pointes de flèche, meules, haches à gorge, glanées depuis des années par Dejonghe, mais pas celles des productions de la fin de l’âge du Fer gaulois. Or l’exposition permet d’étendre les rapprochements typologiques avec les formes du quotidien des hommes de cette culture contemporaine du début de la romanisation.
Il y a quelque chose de réjouissant dans cette universalité typologique. Mais cette sorte d’évidence des rapports est d’abord une construction, Bernard Dejonghe ayant eu carte blanche pour la monter. « Cela a pris deux ans d’allers et retours entre le musée et l’atelier, entre Bibracte et le museum d’histoire naturelle à Paris dont j’ai favorisé les contacts, et avec l’université de Grenoble qui possède dans ses caves les collections sahariennes. Pour l’implantation des objets, le choix des espaces, l’organisation des séquences d’objets, je suis allé prendre des photos. L’équipe du musée autour du directeur est formidable. Il est très rare de pouvoir produire une présentation comme celle-là ».
La grande salle du haut accueille l’installation suspendue toujours impressionnante des Vingt-cinq Formes brèves de verre optique qui constituent une sorte de typologie générale des formes modulaires saisies par le regard du céramiste, ainsi que tous les échantillons de verre naturel, fulgurites (agglomérats de sable vitrifié par la foudre), obsidiennes volcaniques et tectites issus de l’impact d’une météorite. Mais la pièce maîtresse, « le scoop », est l’ensemble des morceaux de la météorite de Tafassanet. « J’ai mis trois ans à la rapporter et elle intéresse énormément les scientifiques européens, remarque-t-il. Il y a très peu de verres naturels. En voyageant dans le désert j’ai vu tout ce qu’il est possible de voir. Ces verres c’est du cristal qui, à cause de leur composition et de leur rapidité de refroidisse-ment n’ont pas eu le temps de se former. C’est dans cette question des matériaux et du temps de cuisson qu’il y a un parallèle à faire avec la céramique et le verre que nous fabriquons », nous dit Bernard Dejonghe ajoutant : « j’entrevois vaguement qu’avec ce travail sur les matériaux, on touche à des questions moins matérielles, plus philosophiques ».
Le temps qui passe et dont les formes demeurent, nous le touchons dans les salles du rez-de-chaussée où il a installé ses pièces de céramique et de verre avec, sous vitrine, des objets de l’industrie lithique saharienne, en écho à la typologie des objets de la vie quotidienne des habitants de Bibracte des derniers siècles avant l’ère romano-chrétienne : Meules dormantes avec des meules de grès gallo-romaines pour céréales et d’autres du Niger, forme triangulaire à base arrondie du Biface en verre poli avec les bifaces en silex du paléolithique, les imbrex (tuiles des toitures) triangulaires, mais aussi la pyramide des matériaux de construction, et les dessins en chevrons des sols gallo-romains. Areshima rouges et haches à gorge néolithique du Ténéré, Meules vives en verre optique avec les molettes cylindriques en grès rose du néolithique égyptien mais aussi récipients à fond arrondi circulaires et profonds des cuisines éduennes. Cercles en verre optique, anneaux en grès du Ténéré et moules de bronzier pour clefs de Bibracte, Meules dormantes en grès émaillé, fonds de tonnelets et meules plates du Ténéré, Formes aléatoires en grès émaillé mat et météorite howar dite de Libye. La liste des correspondances possibles est longue et saute aux yeux en situation dans le musée comme les Sept Stèles en grès émaillé céladon de 1997 posées au bord d’une fosse à offrandes gauloise. La plupart de ces pièces renvoient à la géométrie fondamentale avec des variations et des différences de détail liées à l’usage qui émerge au plus près des besoins de l’être humain. Mais si l’intellectuel s’intéresse à l’universalité de la forme, l’artiste lui, y décèle encore autre chose : « Si je m’intéresse au design de ces pièces, c’est qu’on y lit également le plaisir à les faire. Les variations sont les signes de ce plaisir ». Une jouissance millénaire à transformer la matière qu’une telle exposition nous permet d’écouter.
Carole Andréani
Extrait de la Revue de la Céramique et du Verre N°180" // 
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