MICHEL POBEAU // 1999 // FEUILLE DE ROUTE //
Bernard Dejonghe parcourt les déserts du monde à la recherche de la lumière noire, cette obstination rêvée de l’homme où se terre le trésor de la création.

Il parcourt avec la marche tendue du guetteur qui sait que l’autre est patient, inusable et simplement suspendu dans l’histoire des gestes. Ceux-là mêmes qui passèrent avant lui à ce carrefour si tendre de la trace lavée depuis la nuit des temps dans le sable amical qui la recouvre inlassablement de son drap de vent. Les hommes qui oublient leurs mémoires à la croisée des pistes ne savent pas qu’ils retiennent leurs souffles millénaires pour ceux qui sauront lire les signes de la chasse en recueillant leurs dards de pierres acérés comme de précieux trophées.

Bernard Dejonghe parcourt, observe… et recueille les semis acérés de la mémoire, les graines du vent des siècles, ces éclats d’étoiles de l’univers qui détiennent par un code secret la lumière prisonnière qui hurle d’impuissants messages aphones à la grande oreille du temps.

Lorsqu’il rentre à l’atelier suspendu comme un souffle à l’âme d’une colline blonde il dépose prudemment le fragile message de pierre sur une table amie afin que se tisse la confiante parole à délivrer la trame du geste enfoui.

Pour qu’un dialogue étranger s’accomplisse.

De la table au four pour une alchimie modeste et généreuse, de grandes formes tranquilles alanguies de soleil lourd esquissent une réponse irisée.

Un jour ou un autre mais dans la ferme intention de conquérir la forme arquée d’orbes parlant aux astres l’artiste obstiné souffle le feu d’une genèse insensée que d’autres encore (mais ceux qui l’aiment) voudront aimer.

Pour dire qu’un dialogue étranger s’accomplit.

Le voilà qui se lève par-devant la maison quand j’étais égaré il est simplement là – tu as fait bon voyage ? – parce que la maison sourdent des arbres de paix et d’autres plus enfleurés qui s’accordent aux fruits des abeilles et l’herbe rase qui retient la folle pour le pas du passant cette maison de paupières mi-closes est simplement la maison.

Passe à la maison.

La maison n’est pas bavarde et tournée vers l’atelier où se trouve de précieux objets que le passant devra apprivoiser pleins qu’ils sont de l’âme de lui. L’atelier est essentiel.

Empreint de la poussière ténue de l’univers. Sable semblable lacté de lumière lourde que la lumière – l’autre – par l’ombre permise des persiennes célestes prétend éclairer.

Mais encore il n’est pas temps d’ouvrir les fours où dorment les sentinelles qui voyageront d’un regarda l’autre quand il aura choisi leurs rôles.

Mais encore trois quatre ou cinq mais plus précieux avant que le soir n’éveille les sens du guetteur sont côte à côte comme les totems de Pâques attendant l’improbable nuit qui les foudroiera.

Ceux-là sont beaux comme on pourrait dire parce que bien au-delà du sens ceux-là sont les desseins de lumière de Bernard Dejonghe. La maison n’est pas bavarde que déjà le soleil domestique inflige aux membres gourds le besoin de dormir comme si le voyageur déjà plein du bruit des astres devait encore partir.

Un jour encore mais un autre jour nous restons à hésiter sur les formes du voyage comment contraindre les grandes sentinelles à suspendre leurs regards acérés dans l’ombre artificielle de la ville et comment accroupir les beaux dans une éloquence silencieuse. Des histoires de tensions, d’aciers, de mécanique appliquée, vulgaires et transports, des histoires d’hommes à fer.

Bernard Dejonghe est aujourd’hui sans doute sur la piste secrète d’un égyptien d’ocre rouge à la recherche de l’ambre. Nous allons nous revoir… Bourges le 7 juillet 1999.

Pour qu’un dialogue obsidien se révèle.

La marche est mémoire l’oubli la halte l’oreille indienne effleure le sable le guet quand la nuit efface les fils (d’Ariane) les mêmes dans tout l’univers arbore les absences pleines précieuses des désert chaque grain de pierre isolé par le vent inlassable qu’un vanneur d’un mouvement rythmique agite et tourne dans son van devient prière de l’alphabet inhumain. Aborigènes en Australie gauchos dans la pampa touaregs de Lybie mongols et gitans tous tissent la parole les cris du temps l’écrit du vent.

La multitude est athanor et les hommes chancellent quand ils écoutent le chaos des étoiles.

Alors se penche le guetteur qui de sa main profane la hanche de la dune palpite mais ne parle.

Pour qu’un dialogue obsidien s’installe.

Feuille de route.

Nous sommes à la croisée des champs des pistes cimetière des bibliothèques aux vertigineuses travées que le modeleur immortel et insatiable d’une main l’autre reconstruit et ensème et s’échine à contenir en quête de la poussière des âmes.

Alors quand l’un d’entre eux plus doux que l’ombre qu’il exalte entre la trame et le zellige de modeleur se fait sculpteur à l’aune de la lumière alors le pas d’un homme au sable se distingue.

Pour qu’une verticale tremblante s’incline jusqu’aux confins du secret où le feu tentera l’amour de Zénon.

Entre l’atelier du désert où les gisants d’ocre retiennent la lumière du vent et celui de la maison où s’écrivent obstinés les mots du temps les voyages harassants du corps déposent leurs larmes de feu de leurs crinières de mustangs.

Nulle flamme ne lèche la main du forgeron dans cette bataille dantesque d’électrons pour que le miroir de diamant qui naîtra de la fusion arrache à l’univers cérébral du passant l’augure de son gnomon impossible alchimie de l’être et de sa raison.

Verticale tremblante trait de l’âme qu’esquissa Zénon.

La feuille de route de Bernard Dejonghe est comme la course d’Achille qui aurait eu la sagesse de chevaucher la tortue afin que la lumière simplement ne fut…

Nous allons nous revoir… Bourges le 30 juillet 1999.

Les beaux sont étranges œil accroupi de lumière rassemblés successif vertèbres oubliées figées du dinosaure dans sa nuit archéologique d’argile.

Etranges aliénés dieux de l’arche vibrant de colère chacun de la divinité contenant le regard et l’absence insensée.

Et l’artiste les engendre et les observe les donne à voir et à nous regarder. Les beaux sont étranges parce qu’ils sont miroirs de l’âme par l’eau donnant le feu amants religieux amants dangereux di-amants de je.

La terre élancée des sentinelles seule sait qu’ils viennent d’elle condamnée au silence elle les protège et nous les donne à voir et à nous regarder.

Dans le château d’eau - l’autre atelier – emprunt de la poussière ténue de l’univers lactée de lumière lourde que la lumière d’homme devra éclairer par l’ombre permise découpée seront les sentinelles suspendues devant les regards accroupis (de lumière).

Bernard Dejonghe observe le château d’eau il en épie le silence opaque la respiration lente et humide guettant la fracture des cercles de terre comparés aux traces de sable des déserts pour suspendre le seul poing de plomb là possible - verticale tremblante – arrêt d’angle entre ombre et ombre (le choix de l’homme n’est pas entre le bien et le mal mais entre un bien et un autre bien).

Avant d’être tué
Archimède dessinait des figures sur le sable
Quand le soldat est venu le cherche
Il a seulement dit « ne dérangez pas mes cercles ».
Bernard Dejonghe guette la fracture des cercles pour qu’un jour
nous allons nous revoir…

Bourges, le 5 août 1999
Michel Pobeau
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